L'émergence d'un nouveau modèle de banque privée en Suisse
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International Banker
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Olivier Calloud Chief Executive Officer
Piguet Galland "Meilleure banque privée en Suisse 2021"
En 2021, Piguet Galland a été élue Meilleure Banque privée Suisse 2021 par le magazine professionnel International Banker.
Dans cet article rédigé pour le magazine, Olivier Calloud, CEO de la Banque, retrace les évolutions ces dernières années dans le secteur bancaire, les challenges rencontrés et comment Piguet Galland s’est adaptée à ceux-ci.
Au cours des 10 dernières années, le monde de la Banque Privée en Suisse a connu une profonde transformation.
Selon le consultant KPMG qui analyse annuellement l’état des banques suisses dans son étude « Clarity on Performance of Swiss Private Banks », cette transformation est illustrée par la diminution du nombre de banques actives sur le territoire qui a chuté de plus de 40% passant de 163 établissements en 2010 à 96 fin 2021. Si l’on se focalise sur les petites banques (avec des actifs sous gestion inférieurs à 5 Milliards de CHF), la chute est encore plus vertigineuse avec une diminution d’environ 60% (105 établissements en 2010, 44 fin 2021). Cette consolidation s’est réalisée principalement via des opérations de fusion acquisition mais aussi par quelques faillites retentissantes ou par le simple retrait du marché et l’abandon de la licence bancaire en Suisse (notamment pour des filiales de groupes bancaires internationaux).
Un marché en pleine mutation
Cette transformation s’est accompagnée par une détérioration de certains ratios clés de l’efficience opérationnelle. Ainsi le cost income ratio est passé de 76.6% en 2010 à 85.9% en 2020. Il s’agit bien sûr d’une moyenne, certaines banques ayant un ratio supérieur à 100% réalisant ainsi des pertes opérationnelles depuis plusieurs années, promesse quasi certaine de la poursuite de la consolidation du marché observée depuis 10 ans. Toujours selon KPMG, l’écart entre les banques non performantes (toujours plus nombreuses) et les banques les plus performantes a tendance à s’élargir, année après année.
Cette évolution est en partie liée à la succession de crises qui a touché le monde à partir de 2007 : crise des subprimes (2007), Lehman Brothers (2008), Madoff (2008), crise de la dette dans la zone Euro (2010). En réponse à cette crise bancaire et financière multiforme les pouvoirs publics des principaux pays de l’OCDE ont lancé un mouvement de renforcement significatif de la réglementation et engagé parfois directement des actions en justice contre les banques récalcitrantes. Ce tour de vis réglementaire a abouti en Suisse à la quasi-disparition du secret bancaire fiscal, notamment pour les clients étrangers qui disposaient d’avoirs déposés et gérés auprès des banques helvétiques.
Cette disparition du secret bancaire fiscal pour le client offshore des banques suisses a été l’un des évènements déclencheur qui a sonné le début de la transformation profonde de la place financière en Suisse. Jusqu’alors, ce secret fiscal avait fonctionné comme une rente de situation pour les établissements helvétiques, assurant des revenus confortables tout en décourageant les velléités de réforme du système en place. Pourquoi changer quand tout va bien ? Avec la disparition de cette rente, les banques redécouvrent les lois de la pesanteur de n’importe quelle industrie : pour avoir du succès il faut une offre adaptée aux segments de marché visés, la capacité de faire connaître et de distribuer cette offre sur ce marché et enfin l’organisation adéquate pour délivrer cette offre de manière efficiente et rentable. Au-delà de la problématique de l’offre, la vraie question à laquelle les banques suisses se sont trouvées confrontées à partir de 2010-2011 a été finalement de se demander quelle valeur souhaitaient elle créer désormais pour leurs clients dans un monde plus transparent (et fiscalisé).
La Suisse : une place financière unique
Piguet Galland est née le 1er avril 2011, au début de cette décennie de transformation profonde de la place financière helvétique. Elle est issue de la fusion de deux établissements qui font partie du paysage bancaire suisse depuis bien longtemps : la Banque Piguet (fondée en 1856) et la Banque Franck Galland (fondée en 1889) qui se sont unies avec l’intention de créer un acteur de taille moyenne capable de se développer en Suisse Romande. Naître dans un tel contexte a rapidement posé la question du modèle d’affaires à mettre en place afin de croître dans un monde bancaire en profonde mutation. Echaudé par 4 années de crises et de faillites, la réputation des banques était au plus bas, le moral des clients et des collaborateurs aussi.
Dans la volonté de réinventer un modèle d’affaire capable d’affronter avec succès le nouvel environnement bancaire, il a été décidé rapidement de recentrer notre développement sur le marché suisse. Acquérir et gérer des avoirs de clients domiciliés à l’étranger est une entreprise complexe, couteuse et relativement risquée pour un établissement de 160 collaborateurs uniquement basés en Suisse. Elle suppose une maitrise parfaite des règles de démarchage et une connaissance experte des environnements patrimoniaux et fiscaux de nombreux pays afin d’assurer un conseil et une gestion de qualité sur les différents marchés visés.
Alors bien sûr, la Suisse est un petit pays (8,6 millions d’habitants) mais riche (avec un PIB par habitant parmi les plus élevé du monde). Son système de retraite par capitalisation offre aussi de belles opportunités pour un gérant d’actifs, notamment au moment où la génération des baby boomer arrive progressivement à l’âge de la retraite. Se concentrer sur la clientèle locale permet aussi de mieux maîtriser l’un des principaux risques associés à la gestion privée, à savoir le risque de réputation lié au blanchiment d’argent. A contrario, il s’agit d’un marché mature qui ne dispose pas du potentiel de croissance de certaines régions émergentes. C’est aussi un environnement très concurrentiel avec un écosystème dense composé de nombreux établissements (banques et gérants indépendants) actifs sur ce marché. Pour réussir cette re-focalisation des activités de Piguet Galland sur la Suisse, il était essentiel de redéfinir notre offre afin d’avoir une chance de croître dans un environnement aussi exigeant.
Afin de disposer de la bonne offre pour développer nos activités, nous nous sommes tournés vers nos clients potentiels en organisant une série de « focus group » visant à identifier les aspirations et les besoins non couverts de notre clientèle cible. Rapidement nous nous sommes rendus compte que nos compétiteurs se concentraient avant tout sur la gestion des actifs liquides des clients (cash, portefeuille titres) mais que rien n’était entrepris de manière systématique et cohérente pour les autres actifs qui composaient la partie immergée du patrimoine global de la clientèle : actifs professionnels, prévoyance, immobilier… Souvent dans nos entretiens, les prospects interrogés ont évoqué le besoin de pouvoir se reposer sur un conseiller de confiance qui disposerait d’une vison globale de leur patrimoine. La notion de « médecin de famille du Patrimoine » s’est imposée rapidement au cours des focus group que nous avons menés. Nous l’avons immédiatement adoptée.
Le médecin de famille du Patrimoine
Afin de pouvoir incarner ce rôle de médecin de famille du patrimoine de nos clients, il était important de ne pas reposer essentiellement sur des compétences traditionnelles de gestion d’actifs et de portefeuilles mais aussi de développer une expertise forte dans le conseil patrimonial, la planification financière et le conseil en prévoyance afin de pouvoir donner un conseil global sur l’ensemble des actifs qui composent la fortune nette de notre clientèle. Il était aussi important de renforcer notre offre en matière de crédit (notamment les crédits hypothécaires) afin de pouvoir financer les actifs immobiliers qui composent généralement le cœur du patrimoine de nos clients. Dès 2012, deux ans après la fusion, nous avons commencé à bâtir cette offre fondée sur trois piliers d’une importance égale : la gestion d’actif, le conseil patrimonial, les crédits.
Définir un marché de prédilection, construire une offre afin de répondre aux besoins perçus de ce marché sont des étapes importantes dans la mise en place d’un nouveau modèle d’affaires. Ces étapes ne sont toutefois pas suffisantes pour mobiliser les énergies et avoir du succès. Il fallait aussi se donner une mission, un sens à notre activité quotidienne, une raison de nous lever tous les matins afin de servir avec enthousiasme nos clients et transformer notre Banque.
Dans la relation de confiance que nous aspirons à bâtir avec nos clients, nous échangeons souvent sur leurs projets les plus importants, sur leurs rêves et parfois leurs angoisses. Il s’avère que généralement ce qui maintient nos clients éveillés la nuit est rarement lié à la gestion de leur portefeuille. Ce sont plutôt des préoccupations liées à leur santé, celle de leur couple, l’avenir de leurs enfants ou de leur entreprise. Chacun de ces sujets a des implications patrimoniales importantes. Jouer le rôle de médecin de famille du patrimoine pour nos clients ne consiste pas seulement à mettre à disposition une expertise globale sur différents sujets mais aussi à conseiller proactivement nos clients sur les thématiques qui leurs tiennent à cœur, à aligner leurs projets avec leur patrimoine. Cette réflexion nous a conduit à définir notre mission comme celle de contribuer à la sérénité de nos clients en les aidant à réaliser les projets de vie et c’est quand même plus motivant de se lever tous les matins avec cet objectif en tête plutôt que celui de vouloir vendre des fonds de placements et des produits bancaires… !
Une vision modernisée du métier de Banquier privé
Fin 2012, nous avions réinventé notre modèle d’affaire et redéfini notre mission d’entreprise prêt à devenir le médecin de famille du patrimoine de nos clients et à contribuer à leur bonheur en les aidant à réaliser leurs projets de vie. Nous pensions que le plus dur était fait. Pourtant c’était une erreur car il s’avère toujours plus facile de définir une stratégie sur le papier que de l’implémenter dans les réalités opérationnelles et humaines d’une organisation. La gestion et l’acceptation du changement est bien sûr au cœur de cette problématique. C’est un processus qui prend du temps et qui nécessite beaucoup d’énergie et de conviction managérial pour être mené à bien. Malgré les difficultés, les feedbacks enthousiastes reçus des clients nous ont convaincus de la justesse de la vision stratégique et encouragés à persévérer, sans changer de cap, dans l’implémentation du modèle d’affaire défini.
Au cours des 10 dernières années, nous avons recruté de nouvelles compétences, investi dans la formation des collaborateurs, travaillé sur la notoriété de notre Banque sur notre marché cible, développé nos canaux de distribution, implémenté de nouveaux outils, renforcés nos processus. Ce fut un travail de longue haleine mais qui porte aujourd’hui ses fruits. Le succès commercial est au rendez-vous. La profitabilité aussi.
En 2021, International Banker nous a nommé « Best Private Bank Switzerland 2021 ». Dix ans après la fusion qui a vu la naissance de Piguet Galland, c’est une belle reconnaissance du travail accompli au cours de cette décennie. De manière assez symbolique, nous succédons à ce palmarès à l’UBS qui compte parmi les plus grands gérants d’actifs au monde et qui a remporté le classement l’année dernière. Qu’une banque comme Piguet Galland, présente uniquement en Suisse avec 160 collaborateurs et 7 milliards d’actifs gérés puisse succéder à un tel géant dans le classement d’International Banker souligne qu’il peut coexister plusieurs modèles d’affaires performants dans le monde bancaire d’aujourd’hui. C’est une très bonne nouvelle car nous sommes convaincus que cette diversité fait la richesse d’une place financière comme la Suisse et offre aux clients la possibilité d’opter pour des modèles d’affaires différents mais néanmoins capables de créer de la valeur et de les accompagner de manière pertinente dans leurs projets de vie !
Auteurs
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Diplômé de Sciences Po Paris, titulaire d'un MBA de l'INSEAD, Olivier Calloud a débuté sa carrière chez Arthur Andersen puis chez Lombard Odier. Il a rejoint la Banque en tant que COO de Frank Galland en 2005. En 2011, il est nommé CEO de Piguet Galland récemment fusionnée. A ce titre, il dirige le Comité de Direction et coordonne la mise en œuvre de la stratégie de la Banque.